La cinémathèque de Corse

à Ajaccio, la seconde vie de l'Empereur


Ariane Chemin • Le Monde • article du 11 août 2021

Le Palais Fesch-Musée des beaux-arts célèbre, jusqu’au 4 octobre, le bicentenaire de la mort de Napoléon EXPOSITION AJACCIO (CORSE) - envoyée spéciale Un bicorne en feutre porté par l’Empereur, autant dire plein de son âme et de son ADN. Un petit bout du cercueil de Napoléon monté tel le reliquaire d’un saint dans un écrin égyptien par le prince de Joinville, délégué par son père, Louis-Philippe, pour superviser l’opération « retour des cendres », en 1840. Une monumentale tête de bronze expédiée en Corse et retrouvée dans un placard de Mezzavia, la zone commerciale d’Ajaccio. Voilà quelques-uns des objets insolites que l’on trouve au Palais Fesch, qui célèbre, depuis le 2 juillet, le bicentenaire de la mort de Bonaparte avec une exposition consacrée à la légende napoléonienne.
 
Comment Napoléon est-il devenu le Français le plus connu du monde ? Le charmant Musée des beaux-arts d’Ajaccio (qui offre une des plus belles collections françaises de peintures italiennes – Titien, Botticelli, Véronèse) l’explique avec des films, affiches, gravures, tableaux et sculptures. « Napoléon a fabriqué du Napoléon à toutes les époques et pour tous les goûts, du merchandising populaire aux plus grandes œuvres d’art » (parfois méconnues, comme son buste en plâtre par Rodin, prêté par le musée parisien), résume le responsable des collections napoléoniennes, Philippe Perfettini.
 
« C’est fini ! », a sous-titré Oscar Rex en peignant son Napoléon à Sainte-Hélène, un prêt du château de Malmaison (Hauts-de-Seine), partenaire de l’exposition. C’est en réalité le contraire. Le culte s’épanouit à la mort de l’Empereur.
 
Si la propagande démarre en 1796 – le général Bonaparte fait éditer Le Courrier de l’armée d’Italie puis dicte ses Mémoires militaires à Las Cases, travaillant de son vivant à forger sa propre statue, rappellent deux petits tableaux anonymes –, elle prend son envol en 1821 et s’affermit sous la Restauration, qui y voit un moyen de rallier à sa cause les nostalgiques de l’Empire. Et profite de l’éclosion du romantisme pour emballer au-delà du « petit peuple » musiciens, peintres, cinéastes et écrivains. Napoléon devient alors « plus qu’un fantôme et presqu’un Dieu », a écrit Victor Hugo, un des héros de l’exposition, en 1840.
 
« Nous avons commencé à travailler sur cet anniversaire il y a quatre ans, cela nous a permis d’obtenir ces prêts prestigieux », explique Philippe Costamagna, directeur du musée, qui a veillé sur l’exposition avec la commissaire Maria Teresa Caracciolo. Dans les salles tendues d’un vert cru dit « soieries Empire », les bottes crottées du Napoléon à Fontainebleau peint en 1840 par Paul Delaroche, sorte de Joconde du Musée de l’armée à Paris, semblent à peine sorties de la boue dans laquelle ses maréchaux pataugent durant la campagne de France : le tableau de Meissonier du même nom, prêté par le Musée d’Orsay, est d’ailleurs accroché à quelques mètres de là.
 
Abel Gance et Chateaubriand
 
Le Napoléon épuisé et déprimé de Delaroche devient en 1929 l’affiche d’un film de l’Allemand Lupu Pick, Napoléon à Sainte-Hélène. Le cinéma muet boucle la popularité de la figure de l’Empereur. Le Palais Fesch projette douze minutes restaurées du film d’Abel Gance, offertes par La Cinémathèque française, dont la fuite du jeune Corse avec le drapeau français depuis la tour de Capitello, sur l’autre rive du golfe, toujours vaillante aujourd’hui au milieu des jet-setteurs de Porticcio. « La séquence corse de la légende, tournée par Gance dans les vrais décors ajacciens : promenade dans le maquis, confrontation avec Pascal Paoli…, insiste Jean-Pierre Mattei, le fondateur de la Cinémathèque corse. Cette jeunesse est rarement évoquée au cinéma. »
 
Chaque époque choisit « son » Napoléon. L’un des clous de l’exposition est peut-être ce Bonaparte aux Tuileries peint en 1888 par un inconnu nommé Maurice Réalier-Dumas. Il figure le jeune capitaine Bonaparte bras croisés, le 10 août 1792, posant un regard interrogateur sur une couronne et un manteau d’hermine gisant au sol. « La IIIe République a choisi le révolutionnaire », résume Philippe Costamagna, qui a trouvé ce tableau du Musée de Gajac à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) sur… son portable. Vive Pinterest !
 
Les légendes ne prospèrent jamais sans mensonges. Un charmant petit tableau peint en 1849 et prêté par la maison Bonaparte, à moins de cinq cents mètres de là, figure le lieu natal de l’Empereur dans un curieux environnement. Manque la maison maternelle, remplacée par un acacia. « Le peintre n’a pas dû mettre les pieds à Ajaccio », sourit Philippe Perfettini. Pas de mythe non plus sans légende noire : De Buonaparte et des Bourbons, féroce fascicule écrit en 1814 par Chateaubriand et présenté au Palais Fesch, enverrait aujourd’hui son auteur devant les tribunaux.
 
Pas de légende enfin sans supporteurs ni groupies. Une vitrine propose plusieurs objets séditieux, comme cette bague en or d’où un Napoléon surgit si on la presse, tandis que, tout au long de la rue Fesch, les boutiques alimentent le mythe et la marque en vendant housses d’ordinateur et clés USB à l’effigie du grand homme. Ajaccio reste la ville où continue de vivre la légende, les noms des bars et des rues le disent, comme la nouvelle couronne (restaurée) suspendue en haut de l’avenue du Premier-Consul.
 
Napoléon, légendes, Palais Fesch-Musée des beaux-arts, Ajaccio (Corse). Jusqu’au 4 octobre. De 5 à 8 euros.
« Apothéose de Napoléon Ier » (vers 1853), esquisse de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). Paris Musées/Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais
« Apothéose de Napoléon Ier » (vers 1853), esquisse de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). Paris Musées/Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

           

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