La cinémathèque de Corse

à Ajaccio, l'invention d'un mythe napoléonien


Adrien Goetz • Figaro • article du 09 août 2021

Bonaparte franchissant le col du Saint-Bernard, par Adolphe Yvon (1853). J. Harixçalde / Palais Fesch
Bonaparte franchissant le col du Saint-Bernard, par Adolphe Yvon (1853). J. Harixçalde / Palais Fesch
Le Palais Fesch propose une exposition foisonnante qui raconte comment l’Empereur est devenu une figure légendaire.

EXPOSITION C’est une chaise d’enfant, avec un haut dossier où est brodé au point de croix le célèbre petit chapeau à cocarde. La brodeuse ? Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, épouse de Louis Bonaparte, qui ajoute les initiales de son fils : LNB. Louis Napoléon, futur Napoléon III, a 8 ou 9 ans : « Tu seras empereur mon fils », dit ce petit trône destiné à un improbable héritier qui est avant tout fils d’une légende. En découvrant sous les combles du château d’Arenenberg, au bord du lac de Constance, une des demeures d’exil des Bonaparte, cet objet fascinant, placé par Napoléon III dans la chambre de son fils, Philippe Costamagna, le directeur du Palais Fesch-Musée des beaux-arts d’Ajaccio, a su qu’il tenait le sujet de son exposition : donner à voir l’histoire à rebondissements d’une construction mythique.
Napoléon a-t-il existé ? Philippe Perfettini a réuni les témoins d’une légende corse : la réinvention de la maison natale, la grotte de l’enfance, premiers ricochets de l’aventure. Les chercheurs réunis par l’historienne Maria Teresa Caracciolo ont travaillé en archéologues, dégageant strate par strate l’histoire de la succession de légendes - série de constructions fictives qui commence dès la campagne d’Italie, culmine avec Sainte-Hélène, renaît sous Louis-Philippe, sert de socle à la prise du pouvoir par Badinguet et ressuscite sans fin au cinéma. Dans deux salles, une anthologie des richesses de la cinémathèque de Corse, en un montage inédit dû à Jean-Pierre Mattei, sert d’écrin à un joyau que la Cinémathèque française a restauré : douze minutes d’émotion, les scènes corses du Napoléon d’Abel Gance.

Les icônes sont là 
L’exposition a bénéficié de prêts extraordinaires : les icônes sont là, autour d’un vrai petit chapeau façonné par Poupard. Le Musée d’Orsay a prêté La Campagne de France, de Meissonier, le Musée de l’armée le Napoléon à Fontainebleau, de Delaroche, avec ses bottes crottées et le visage du désespoir, le Musée Rodin le plâtre du buste modelé vers 1904… Mais bien des œuvres, méconnues, souvent restaurées pour l’occasion, prétendent désormais à ce statut.
Le Jeune Napoléon Bonaparte le 10 août 1792 aux Tuileries, de Maurice Réalier-Dumas, a été légué par le peintre au Musée de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) en 1888. Madame, mère de l’Empereur (1822), en grand deuil, devant le portait de son fils en costume de sacre, par Müller en 1861, vient du Musée de Dreux. La sculpture de Gérôme, Bonaparte entrant au Caire, avec son socle chargé de symboles, est prêtée par Moulins. Un grand tableau, qui a figuré dans la collection Franceschini-Pietri, bien connue des Corses, Bonaparte franchissant le col du Saint-Bernard, peint en 1853 par Adolphe Yvon, entre désormais, sur son cheval blanc un peu fatigué, dans l’histoire de l’iconographie napoléonienne.

Ouverture du Musée Napoléon en 2024 
La menue monnaie de la légende accompagne ces symboles, avec les estampes de Raffet qui sont des chefs-d’œuvre populaires, équivalent du Napoléon selon Balzac ou le chansonnier Béranger. « Toute cette énergie pour aboutir à une mélancolie nationale ! », écrit Charles Dantzig dans le catalogue. Une part de la légende est faite de cadavres, de défaites, de déploration, de désespoir - avec un antihéros sublimé sur le tard, l’Aiglon. Napoléon persiste car il est double, classique et romantique, victorieux et pathétique, suivi de ses hussards comme de ses grognards.
Jean Tulard a retracé cette succession des légendes noires et des légendes dorées qui ont modelé « Napoléon » dans l’imaginaire national. Ce miroitement n’est nulle part mieux mis en images, pour ce bicentenaire, qu’à Ajaccio. Il faut souhaiter que la qualité de cette exposition préfigure le Musée Napoléon que la ville va ouvrir en 2024. Ce sera l’acte suivant de cette vie qui reste, plus que jamais, un roman inachevé.
« Napoléon, légendes », au Palais Fesch, Ajaccio, jusqu’au 4 octobre. Catalogue sous la direction de Maria Teresa Caracciolo, préface de Charles Dantzig, Silvana Editoriale, 35 €.

           

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