"Grande Version" inédite et définitive
Entre l’été 2022 et début 2024, la mobilisation de 250 musiciens, 25 jours d’enregistrement à la Maison de la Radio et de la Musique et plus de 1000 heures de montage et de mixage ont été nécessaires pour mettre en musique ce chef-d’œuvre.
Après avoir fait la pré-ouverture du Festival de Cannes 2024, l’ouverture de Cannes Classics, et réuni plus de 6.000 spectateurs lors d’un ciné concert symphonique historique à la Seine Musicale, ce film, qui retrace la vie de l’Empereur, depuis son enfance jusqu’au début de la campagne d’Italie, est distribué en salles par Pathé Films, en deux parties, depuis le 10 juillet et va faire une grande tournée Corse !
Ce film légendaire a été, pour une part importante, tourné en Corse au printemps 1925, car Gance tenait à avoir pour décors les lieux mêmes dans lesquels Napoléon a tracé son destin, notamment en 1793, avant qu’il ne quitte définitivement l’île. Cette partie du film qui dure environ 1h15 a d’ailleurs été baptisée au fil du temps la ‘Séquence Corse’. Elle avait fait l’objet d’une très belle exposition en 2016 au Musée National de la Maison Bonaparte à Ajaccio sous la direction de Jean-Marc Olivesi et Jean-Pierre Mattei. La Corse de 2024 se devait d’être associée à la ressortie de ce film exceptionnel dans sa version intégrale : outre le fait qu’un segment très important du film y a été tourné en décors naturels, Napoléon Bonaparte en est l’un des marqueurs emblématiques dans le monde entier depuis plus de deux siècles.
Par ailleurs, c’est l’une des copies du film conservées par la Cinémathèque de Corse qui a constitué la colonne vertébrale de la restauration de l’œuvre d’Abel Gance. La société et les institutions corses sont actuellement dans une phase de réappropriation des grandes figures de l’histoire de la Corse, et singulièrement de celle de Napoléon Bonaparte. Ainsi, l’Université de Corse et son laboratoire CNRS LISA sont à l’initiative d’un programme de recherche ‘Paoli-Napoléon’ développé depuis une dizaine d’années.
Ce programme de recherche entre également dans le cadre de la chaire UNESCO ‘Devenirs en Méditerranée’ dont il constitue l’un des cinq piliers. Un collectif conduit par Eugène Gherardi (Directeur de l’UMR LISA), Jean-Guy Talamoni (Responsable du programme ‘Paoli-Napoléon’) et Marc Guidoni (Auteur-réalisateur) s’est donc mobilisé depuis près d’un an pour construire une tournée Corse du film d’Abel Gance.
L’objectif est que le public de l’île puisse découvrir cette œuvre exceptionnelle de manière privilégiée dans des projections sur grand écran, accompagnées de tables rondes, de débats ainsi que d’un livret dédié : un numéro hors-série de la revue LUMI du laboratoire LISA, intitulé ‘’Napoléon et la Corse. Le retour aux sources du ‘Napoléon’ d’Abel Gance’’.
Programmation • en partenariat avec Cità di Portivechju
16h Table ronde 1 - Les figures de Paoli et de Napoléon dans la création artistique en Corse
Modération Dumenica Verdoni – 3ème adjointe Culture, patrimoines, éducation, langue corse et relations avec l’Università di Corsica Pasquale Paoli, Cità di Portivechju.
Avec :
Marie Ferranti - auteure
Alain di Meglio – universitaire, auteur
Dominique Maestrati – réalisateur
Orlando Forioso – metteur en scène
Mako Deuza – graffeur
20h Napoléon vu par Abel Gance : première partie (3h40)
Présentation par Laurent Mannoni de la Cinémathèque Française et par Marc Guidoni, producteur
Samedi 7 décembre
18h Table ronde 2 - Paoli et Napoléon : héros révolutionnaires ou hommes d’Etat ?
Modération Jean Guy Talamoni, avocat, enseignant-chercheur HDR à l’Università di Corsica Pasquale Paoli, directeur de la revue Lumi, chef de projet « Paoli-Napoléon » (UMR 6240 LISA CNRS)
Avec :
Erick Miceli – Auteur
Jean Dominique Poli – Auteur, Maitre de conférences à l’Università di Corsica Pasquale Paoli
Marc Andria Perraut – Doctorant au sein du laboratoire LISA, Università di Corsica Pasquale Paoli
20h30 Napoléon vu par Abel Gance : deuxième partie (3h25)
Le Napoléon d'Abel Gance, un célèbre inconnu ?
Reproduction de la publication de Joël Daire, directeur du patrimoine à la Cinémathèque française.
Quels films de la période muette ont fait l'objet de commentaires et de polémiques aussi durables que Napoléon vu par Abel Gance (1927) ? Naissance d'une nation de Griffith, peut-être, et pour de toutes autres raisons. Célèbre, donc, le film de Gance ? Cependant, à propos du chef-d'œuvre reconstruit et restauré sous la direction de Georges Mourier, Frédéric Bonnaud nous promet « un film plutôt que sa légende » (voir Napoléon vu par Abel Gance, La Table ronde / Cinémathèque française, 2024, p. 40).
Première restauration entièrement numérique
Pour autant, ce n'est pas dans la durée nouvelle du film, ni dans sa construction et son rythme externes qu'il convient, nous semble-t-il, de rechercher prioritairement l'intérêt de ce Napoléon. Ces données-là nous étaient pour partie déjà connues, et les restaurations successives de Brownlow et Bambi Ballard leur avaient déjà rendu justice. Mais en partie seulement. Ainsi, la cadence de projection de la nouvelle restauration a été intégralement rétablie à 18 images/seconde, ce qui n'était auparavant le cas que pour les épisodes de Brienne. Le film y trouve une fluidité nouvelle. On découvrira par exemple l'effet que produit sur le public le chant de La Marseillaise enfin synchronisé avec les lèvres des acteurs. En outre, si les quatre-vingt-dix minutes supplémentaires de la nouvelle restauration ne présentent qu'à la marge la découverte de séquences inédites, elles n'en existent pas moins. À commencer par les fortes images de guerre civile inaugurant le siège de Toulon qui clôt la première partie du film, exigeant et minutieux travail de reconstruction. La restauration s'efforce également de respecter la dimension expérimentale qu'Abel Gance a voulu donner à son œuvre, et qui transparaît dans maintes séquences emblématiques (Brienne, La Marseillaise aux Cordeliers, La double tempête, les ombres de la Convention, le célèbre triple écran du départ de l'armée d'Italie...). Première restauration entièrement numérique, la nouvelle version s'est enfin efforcée de surmonter de nombreuses difficultés a priori insolubles avec les seules techniques argentiques : charte colorimétrique, cadre de projection, restitution authentique des teintes d'origine, etc. Combiner ensemble tous ces éléments suffit déjà à proposer au public un film différent de celui qu'il peut avoir en mémoire.
Sublime symphonie visuelle
Mais de quoi naît l'émotion cinématographique, autrement dit la poésie de l'écran ? Ce qu'offre à voir la « grande version » de Napoléon entraîne le spectateur bien au-delà de l'anecdote narrative et le plonge dans le mystère de ce que Gance appelait sa « musique de lumière », et son ami Epstein « l'idée d'entre les images ». Dans ses grandes œuvres de la période précédente, comme J'accuse ! ou La Roue, Gance travaille ses thèmes et ses motifs sous forme d'à-plats, les juxtapose plus qu'il ne les combine. Avec Napoléon, et singulièrement dans la version « Apollo », pleinement maître de son art, il atteint une nouvelle dimension, d'une virtuosité étourdissante. Rien n'échappe à Gance et rien ne l'indiffère. Jusqu'à la dernière minute, il rectifie le montage de tel passage. Conçu comme une gigantesque symphonie visuelle, Napoléon expose, juxtapose, combine et entrelace thèmes et instruments que sont ses opérateurs, ses acteurs, ses figurants, ses paysages et ses décors, jusqu'à ses cartons de sous-titres... La même science, le même génie combinatoire sont appliqués aux caractères et aux sentiments. Aucune séquence de Napoléon qui ne soit tissée de drame et de comédie mêlés, d'un sens du rythme – d'une musique, donc –, qui projette le spectateur hors du temps diégétique de l'action dans une sublime symphonie visuelle que la nouvelle partition réhausse encore.
Paroxysmes ou apothéoses, les triptyques valurent au film son triomphe à l'Opéra de Paris, mais seul le deuxième, celui de l'armée d'Italie, a survécu, celui de la double tempête ne subsistant plus que dans sa version mono-écran. Tel un retable renaissant, le déploiement sur le triple écran d'une dramaturgie symboliste, mêlant l'horizontal (la conquête de l'Italie), et le vertical (les multiples surimpressions des figures de Bonaparte, de Joséphine, de l'Aigle pas encore impérial, du globe terrestre et des « mendiants de la gloire »), constitue l'épilogue obligé de la « grande version », quand bien même il ne fut pas présenté au théâtre Apollo en mai 1927.
Concluant la « proclamation » qu'il adressait le 4 juin 1924 à tous ses collaborateurs présents et futurs, Abel Gance concluait : « Au public de nous dire aujourd'hui si le but a été atteint. » Nous ne saurions mieux dire !
Joël Daire
directeur du patrimoine à la Cinémathèque française.